C’est une petite femme frêle et souriante qui entre dans la salle « Samuel Paty » du lycée Marc-Bloch à Val-de-Reuil. Comme une revanche à la barbarie : celle qui a tué le professeur d’histoire-géo de Conflans-Ste-Honorine en 2020 ; celle qui aurait pu tuer Nicole Jaller en 1943.
C’est son histoire qu’elle est venue raconter aux élèves de Seconde 3, ceux-là même qui ont travaillé sur le thème de la Shoah avec le pôle Archives Seine-Eure. Avec Vanina Gasly et son équipe du pôle Archives, ils sont à l’origine d’un livret, de podcasts, d’une journée hommage aux Justes parmi les nations et même d’une pièce de théâtre, « les mains du miracle » d’après un scénario de Jean Cosmos.
Vendredi matin, Nicole Jaller-Spinner est venue visiter le château de Gaillon où ses parents ont été incarcérés du 13 au 16 octobre 1942, avant leur transfert pour Drancy, puis Auschwitz. Elle a ensuite rencontré les élèves du lycée de Gaillon.
Solidarité dans le petit village eurois
Devant les lycéens de Val-de-Reuil qui avaient préparé une série de questions, elle est revenue sur l’origine de ses parents, roumains. « Mon père était médecin. Mes parents, Luc et Tony (mais on l’appelait Tosca), sont arrivés en France en 1930 ou 31. Ce pays les attirait et la France avait besoin de médecins » raconte Nicole.
Le couple s’installe à Montreuil-l’Argillé, près de Bernay, où Nicole viendra au monde le 1er mai 1936. La profession de Luc n’empêchera pas l’arrestation du couple, d’abord incarcérés au château de Gaillon du 13 au 16 octobre 1942, avant leur transfert pour Drancy, puis Auschwitz. « Ils ont eu le temps de me confier à un couple d’amis, le maire de Montreuil l’Argillé, Paul et Jeanne Hervieu. J’avais 6 ans. Je ne savais même pas que j’étais juive ! Mes parents n’étaient pas pratiquants » lance Nicole.
Paul et Jeanne Hervieu s’occupent bien de la petite fille, lui font la classe, l’emmènent à l’église, la protègent. Cette protection n’a pas empêché la Gestapo, un jour d’octobre 1943 de venir la chercher.
« Je me souviens qu’il pleuvait. Madame Hervieu m’a protégée sous sa cape. La Gestapo m’a fait grimper dans une Traction et l’un des hommes m’a donné une pomme. J’ai été conduite à la prison d’Evreux où je partageais la cellule d’une vieille femme qui me faisait un peu peur. Madame Hervieu venait me voir tous les jours pour essayer de me sortir de là mais ça n’a pas fonctionné et on m’a emmené à Drancy » poursuit Nicole devant les lycéens silencieux. Nicole a 7 ans. C’est la plus jeune détenue du camp.
Protégée par une internée
Là encore la solidarité préservera la petite fille de la folie meurtrière des nazis. Une Juive, Mariette Etlin, internée elle aussi, la prend sous son aile, la protège et fait en sorte qu’elles ne partent pas toutes deux pour Auschwitz. « Nous étions dans le bloc 3. Nous ne nous déplacions pas beaucoup dans le camp. Mariette me faisait faire une petite prière tous les soirs pour le retour de mes parents, elle m’apprenait des chansons. Je savais que si elle était déportée, je l’aurais été avec elle » poursuit la rescapée.
Elle est restée 10 mois à Drancy, jusqu’en août 1944 et la libération du camp. Il reste alors un millier de prisonniers.
Nicole sera hébergée par Mariette à Paris, avant d’être à nouveau accueillie par Paul et Jeanne Hervieu à Montreuil-l’Argillé. « Quand les rescapés des camps de concentration nazis revenaient, il se rendait à l’hôtel Lutetia à Paris, rappelle Nicole. Un jour, on nous a téléphoné : mon père était rentré de Russie. Il était maigre, il avait perdu ses cheveux, mais il était là. » Sa maman, elle, a très certainement été tuée dans les chambres à gaz. Montreuil l’Argillé a, depuis, rebaptisé une rue de la commune à son nom (chemin Tony Jaller).
Nicole a repris le cours de sa vie avec son père. Elle est retournée à l’école, a grandi, s’est mariée avec un Américain, et vit toujours aujourd’hui près de Washington. Elle a 2 enfants, 3 petits-enfants, 6 arrières petits-enfants, dont le plus jeune, âgé d’un mois, s’appelle Luc, « comme mon papa ». Souriante, douce, Nicole donne une dernière leçon d’optimisme aux lycéens réunis devant elle. « J’ai perdu ma maman, cela restera toujours en moi. Mais j’ai eu la chance de survivre. La vie est belle ! Vous êtes jeunes. Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos études et une vie heureuse. »